Attali-Montaigne : libérer la croissance, ou lâcher les fauves ? Par Claude Pénit (automne 2007) Extrait de la Lettre d’Attac 45 n°44, hiver 2007-2008

Par Claude Pénit,
Médecin biologiste,
Membre du groupe de travail Attac Ecologie et société

La presse s’est largement fait l’écho des travaux de la Commission Attali, créée par N. Sarkozy et nommée pompeusement « Libération de la Croissance ».

La presse s’est focalisée sur deux des mesures préconisées :

 La suppression de la notion de principe de précaution, introduite en 2005 dans la Constitution Française via la Charte de l’Environnement, chère à Jacques Chirac et à Nathalie Kosciusko-Morizet.

 La remise en cause des lois Galland, Royer et Raffarin, censées protéger le petit commerce en soumettant à autorisation administrative l’implantation des super et hypermarchés. Au passage, la commission préconise de lever l’interdiction de la vente à perte, qui jusqu’ici maintenait un tant soit peu les prix payés par la grande distribution aux producteurs.

La Commission Attali, c’est quoi ?

À côté du grand maître Jacques Attali, ancien conseiller de F. Mitterrand, et prophète du Progrès humain via la croissance du PIB, on trouve d’abord 17 dirigeants d’entreprise et cabinets de Conseil dont Nestlé, Crédit Agricole, MCKinsey France, Areva, Orange, Cetelem, Renault, Weinberg Capital Partners, etc. Parmi ces dirigeants de très grandes entreprises peu susceptibles de remettre en cause le modèle dominant, on trouve quelques personnalités passant bien à la télé, au discours paternaliste, comme C. Bébéar (ex Axa, Institut Montaigne) et l’inénarrable G. Roux de Bézieux (Croissance Plus, qui explique que la taxation des stock-options va l’empêcher d’embaucher à bas salaire). S’y ajoutent des Professeurs d’économie du Conseil d’Analyse Économique et dirigeants de « Think thanks », peu réputés pour leurs critiques du Capitalisme financier, des personnalités médiatiques pour l’aspect culturel (B. Cyrulnik, H. LeBras, E. Orsenna, T. Zeldin), le journaliste ultralibéral E. Le Boucher qui sévit chaque samedi dans Le Monde, des membres de cabinets de régulation sociale (l’ex SG de la CFDT Jean Kaspar), des politiciens (en particulier la très libérale A. Palacio) etc.…

Parmi les rapports mis en ligne sur le site (1), on en trouve 2 sur le pouvoir d’achat, 15 sur la compétitivité et 6 sur le travail. On voit quelles sont les préoccupations principales de la Commission. De plus, plusieurs de ces rapports sont l’émanation directe de l’Institut Montaigne.
Sur le site de l’Institut Montaigne (2), on peut lire la liste des soutiens de l’Institut, qui comporte à peu près tout ce qui compte comme entreprises de services (Assurances, banques, grande distribution, travaux publics, énergie, transports, mais aussi la Caisse des Dépôts et de très nombreux cabinets de conseil et financiers en tout genre). C’est donc le lobby du patronat « moderne et dynamique », ce qui veut dire que ses positions ne sont pas forcément consensuelles dans le patronat français. Dés l’annonce des mesures sur le commerce, on a d’ailleurs vu des industriels monter au créneau contre la vente à perte. Il semble que se mène actuellement en sous main une lutte sans pitié entre les représentants de l’industrie traditionnelle et les tenants de l’élimination des derniers obstacles à l’extension de l’ultralibéralisme en France. À rapprocher de ce qui se passe en ce moment même au Medef, avec l’enquête sur les retraits en liquide du patron de l’UIMM. Que va donc faire Jacques Attali dans cette galère ?

Même si ses prises de position passées en font un socio-libéral passionné, on aurait pu croire que sa haute idée de lui-même l’empêcherait de se retrouver le simple alibi d’un think thank , même très « orienté progrès ».

Qu’est-ce que le principe de précaution ?

Selon l’article 5 de la Charte de l’environnement, « lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine dans l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution (...) à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ». Comme en termes prudents ces choses-là sont dites ! Bien entendu, l’introduction de ce principe dans la Constitution a été un progrès, mais son imprécision laisse beaucoup de latitude. Si on l’appliquait vraiment aux OGM ou au nucléaire, les risques de dissémination et de stockage des déchets devraient interdire la culture en plein champ des uns et l’arrêt des centrales. Il n’en a rien été… Quant à la pollution, il y aura toujours des scientifiques complaisants pour nous expliquer qu’elle est sans risque pour la santé (voir le rapport récent des Académies sur les causes du cancer en Franc). Tout dépend donc de la volonté du pouvoir politique d’imposer de véritables études avant d’autoriser les applications générales des innovations. Une telle volonté aurait pu éviter le drame de l’amiante, plusieurs affaires de toxicité médicamenteuses, mais probablement pas le réchauffement de la planète. L’emballement que l’on constate dans la mise en pratique, et sur le marché, des innovations techniques n’est pas inhérente aux progrès de la connaissance scientifique, mais à la volonté des investisseurs d’accélérer les retours sur investissements, associé aux carriérisme et à la course à la notoriété de certains acteurs. Ainsi, dans le cas de l’application des OGM en médecine (la thérapie génique), c’est d’une carence de recherche et d’une mise en œuvre prématurée que sont venus les échecs. Tout cela ressemble à une évidence, mais quand on voit que les seules scientifiques de la Commission Attali sont la directrice de l’INRA et une dirigeante de société de biotechnologie, on comprend que la résistance à cette poussée du libéralisme ne pouvait qu’être négligeable.

Défendrons-nous les petits commerçants ?

Voilà un terrain d’action peu familier à Attac… Mais la cohérence dans les discours sur le commerce équitable, la limitation indispensable des transports de marchandises et l’arrêt de la « bitumisation » des sols par les surfaces de parking impose d’aller plus loin dans la réflexion sur ces problèmes. À condition de l’accompagner d’une remise en cause du modèle de consommation, bien sûr absente du rapport Attali. Il faut d’ailleurs signaler que dans le domaine du pouvoir d’achat, ce rapport n’insiste que sur la nécessité de faire baisser les prix à la consommation, et laisse de côté la stagnation des salaires. On ne va pas demander au patronat de remettre en cause l’actuel partage de la valeur ajoutée, sauf pour tenter d’accentuer encore l’avantage du capital !

Et l’écologie, dans tout ça ?…

Ce discours sur la libération de la croissance risquerait de tomber en porte à faux dans le contexte de la crise écologique, alors que le prix Nobel de la Paix est attribué à Al Gore et surtout au GIEC, et alors que le Grenelle de l’écologie arrive à son terme. Mais ces experts en démagogie ne manquent pas d’intelligence : ils préconisent la création de dix villes écologiques en France, et soulignent le gisement de croissance représenté par le développement durable. Cependant, en dehors de la mesure ci-dessus, bien lointaine, le seul vrai choix préconisé est celui des agrocarburants et de la multiplication des centrales nucléaires. Cette position est bien développée par le fameux décliniste N. Baverez dans les Echos du 18 octobre : il faut réintégrer l’écologie dans l’économie de marché. Tiens, N. Baverez fait partie de la direction de l’Institut Montaigne : bizarre, non ?…

La dernière bataille ?

Les annonces de la Commission Attali-Institut Montaigne révèlent un aspect peu mis en avant par la presse de la prise du pouvoir par l’équipe de Sarkozy : la réalisation finale de la domination du capitalisme Français par les financiers. Ces gens-là sont sans aucun complexe, et balaieront tout ce qui leur fait obstacle. Le principe de précaution n’en est qu’un exemple, à ajouter au droit du travail, au respect de la personne humaine (voir l’affaire des tests ADN), etc.

Tout cela va dans le sens inverse de l’intérêt de l’humanité, qui est aujourd’hui de construire un autre modèle de développement, où la croissance serait celle de l’égalité et de la qualité de vie, ce qui implique de prendre en compte l’état de la planète, bien au delà du simple principe de précaution.

Notes

1) http://www.liberationdelacroissance.fr

2) http://www.institutmontaigne.org