Le pic pétrolier et notre incapacité à réagir, par Philippe Lalik (oct. 2005) Extrait de la Lettre d’Attac 45 n°33, octobre-novembre 2005
Le pic pétrolier se singularise des autres problèmes énergétiques et écologiques en ce sens que ce ne sont pas les écologistes qui ont tiré la sonnette d’alarme à son propos, mais des ingénieurs en retraite de l’industrie pétrolière. Ceux-ci sont regroupés au sein de l’ASPO (association pour l’étude du pic de pétrole et de gaz) depuis 2000 et ne cessent d’alerter les politiques, malheureusement sans grand succès jusqu’à présent. Ils fournissent de précieuses informations et analyses à destination du grand public (1).
Qu’est-ce le pic pétrolier ?
Le pic pétrolier n’est pas la fin du pétrole, mais la fin du pétrole à bon marché. Il a été théorisé par le géologue King Hubbert en 1956. Dès cette époque, il prédit que le pic américain sera atteint en 1970. L’avenir lui donnera raison. Selon sa théorie, l’exploitation d’une ressource naturelle épuisable suit une courbe en forme de cloche. Le sommet de cette courbe correspond au maximum de la production. Ensuite, cette dernière décroît. La première et la seconde moitié de la courbe montrent que la quantité de pétrole exploitée est du même ordre de grandeur avant et après le pic (ce qui signifie que lorsque le pic est atteint, la moitié de la ressource a été exploitée). Mais ce qu’il faut retenir, c’est qu’avant le pic, l’exploitation est relativement facile alors qu’après, elle devient difficile et onéreuse. Il en résulte une déplétion, c’est à dire qu’il n’y a plus croissance de la production mais diminution.
Pourquoi le pic pétrolier “maintenant” alors que les réserves augmentaient ?
Au cours des dernières décennies, les réserves de pétrole ont régulièrement augmenté... sur le papier. En effet, les pays producteurs ont pris l’habitude de gonfler leurs réserves afin d’augmenter leurs quotas de production. Les réserves pétrolières ne relèvent pas de la science mais de la politique. En effet, l’or noir est stratégiquement trop important pour que la transparence règne dans ce domaine. A tel point qu’en comparant les sources officielles et indépendantes, les chiffres de l’OPEP seraient surévalués de 40 à 45%” (2). Quoiqu’il en soit, malgré les divergences d’appréciation, tout le monde s’accorde aujourd’hui pour dire que les découvertes annuelles sont nettement inférieures à la production et qu’il n’y a plus de gisement significatif à découvrir.
Quand aura lieu le pic pétrolier ?
Les experts et organismes estiment que le pic interviendra entre 2006 et 2060. Du côté de l’ASPO, Colin Campbell le situe en 2007 et Jean Laherrère en 2015 tandis que chez TOTAL, les calculs indiquent 2015-2020. Après beaucoup de réticences, l’imminence du pic pétrolier est devenue une évidence pour les compagnies pétrolières. Ce que l’on ignore, c’est si le choc sera brutal ou progressif. Notre incapacité à y faire face peut favoriser la première option.
Quelles sont les alternatives énergétiques ?
Il apparaît qu’aucune alternative crédible n’existe pour le moment. Solaire, éolien, bio-carburants, nucléaire (même si l’on désire en sortir) ou hydrogène peuvent évidemment jouer un rôle mais leur utilisation ne peut remplacer le pétrole surtout dans une économie dont le moteur est la croissance de la consommation.
Quelles conséquences ?
A court terme, une hausse du chômage est probable. Jean-Marc Jancovici a montré que les chocs pétroliers du passé ont été suivis d’une montée du chômage trois ans plus tard (3). Le “début de la fin” du pétrole va engendrer des désastres économiques et sociaux d’une très grande ampleur car si pour les 40 dernières années, l’énergie n’a représenté qu’environ 5% du PNB, sa contribution a été en réalité de plus de 50%.
D’autre part, deux facteurs aggravants risquent de nous conduire à un choc brutal : la poussée de la demande en provenance de pays dits émergents comme la Chine et la spéculation. Bien avant que le pétrole ne se fasse rare, la perte de confiance dans l’avenir risque d’engendrer des troubles sérieux.
Les transports et l’agriculture vont être les premiers secteurs touchés. Le faible coût de l’énergie a notamment permis la forte croissance de l’industrie touristique, les économies qui dépendent de cette activité ont par conséquent quelques soucis à se faire.
Notre “modèle” d’agriculture intensive est également condamné. Des études récentes réalisées aux Etats-Unis indiquent que pour produire 1 calorie alimentaire, 10 calories sont nécessaires. A terme, la question dramatique qui va donc se poser est celle-ci : comment nourrir 6 ou 7 milliards de personnes (4) si le prix du pétrole est très élevé ?
On va probablement assister à une “démondialisation” à laquelle nous ne sommes absolument pas préparés. Le pic pétrolier annonce la fin d’une époque et on a aujourd’hui l’impression que l’étau se resserre avec d’un côté les problèmes énergétiques et de l’autre les changements climatiques (5).
En fait, le pire n’est peut-être pas le pic pétrolier mais notre incapacité à réagir. Les décisions prises actuellement ne tiennent absolument pas compte de la déplétion. On cherche à résoudre les problèmes - quand on ne les nie pas - avec les recettes du passé, or on ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’on engendré (6).
Philippe Lalik
Attac 45
1 Voir le site www.oleocene.org
2 Jean-Luc Wingert : La vie après le pétrole (Ed. Autrement) p. 63
3 voir www.manicore/com/documentation/petrole.html
4 Notons, à titre d’exemple, qu’avant l’ère du pétrole la Grande-Bretagne nourrissait tant bien que mal 6 millions de personnes contre 60 millions aujourd’hui.
5 Sans oublier l’effondrement de la biodiversité.
6 Citation attribuée à Albert Einstein.