L’Europe, bloquée par la rigidité néolibérale, par Attac 45 (févr. 2009) Extrait de la Lettre d’Attac 45 n°49 (févr.-mars 2009)

L’union Européenne est aujourd’hui une construction juridique, financière et économique. Depuis le Traité de Rome en 1957, qui pose les bases du Marché Commun (où les acteurs économiques peuvent acheter et vendre librement des biens et services, sans droits de douane et avec libre circulation et mêmes règlementations), c’est l’ouverture des marchés à la concurrence qui définit l’accord. Une condition reste à justifier : la concurrence pure et parfaite.. qui finalement ne s’est jamais réalisée ! On laisse donc les marchés livrés à eux mêmes, en pensant le meilleur d’une soi-disant auto-régulation, sans aucun contrôle, sans aucune égalité des acteurs du marché, dans une opacité impénétrable pour en tirer le meilleur des profits.

Les membres de l’UE se retrouvent aujourd’hui touchés de plein fouet par la crise financière. Dans le débat européen, les dirigeants se félicitent de l’existence de l’Eurogroupe, qui d’après eux les sauve... Mais de quoi ? Il aurait sans doute été plus pertinent pour les citoyens d’entendre ces mêmes dirigeants se demander comment est-on arrivé à un tel marasme ! Comment aurait-on pu éviter ça ? La remise en cause du système est indispensable.

Comment on en est arrivé là ?

 Le règne du Marché Commun

Dès le Traité de Rome, il est convenu de s’affairer seulement sur le marché commun, la question monétaire est laissée aux Etats Membres. De par les crises monétaires des années 1970, qui déstabilisent le marché, émerge la nécessité d’une politique monétaire. Un "serpent monétaire" en 1972, consistant à limiter les fluctuations des monnaies européennes par rapport au dollar, va échouer du fait du flottement du dollar incontrôlable. Le couple franco-allemand en 1978 lance la création du Système monétaire européen, toujours pour éviter la fluctuation des monnaies mais cette fois par rapport à une unité de compte : l’ECU. Les attaques spéculatives jusqu’en 1990 mettent en péril le système, la menace est grande : la destabilisation du Marché Commun. A la fin des années 1970, la construction européenne est en crise ! Il reste des entraves au Marché ! Notons au passage que les disparités régionales subsistent et s’aggravent de par les écarts de développement ; le projet d’Europe sociale permettant une harmonisation possible des droits pour tous et vers le haut est absent du débat, le déficit démocratique de la Communauté européenne est visible (1979 est la première année d’élection du Parlement Européen au Suffrage Universel, mais il n’a encore que trop peu de pouvoir). La Commission Européenne en 1985, présidée par Jacques Delors, propose ”le livre blanc sur l’achèvement du Marché intérieur”. Les gouvernements européens vont faire le choix de l’Europe économique.

Encore une fois, l’occasion est manquée, face à une paralysie des avancées européennes, et un seul domaine trouve des accords : il faut terminer le marché commun entamé en 1957. Le contexte international est à souligner, l’arrivée de R. Reagan aux Etats-Unis et de M. Thatcher au Royaume-Uni qui dogmatisent les principes néo-libéraux par le consensus de Washington, intensifie les choix européens vers le désastre des libéralisations, des privatisations et de la dérégulation. En 1986, l’Acte Unique Européen (libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux) concrétise l’accord économique européen. ”…l’Europe se coule docilement dans le moule de la mondialisation libérale et peine à affirmer une différence politique face à un empire américain devenu dominateur…” écrit Anne-Cécile Robert, journaliste au Monde Diplomatique. Le capitalisme financier entre dans son ère, les marchés financiers mondiaux laissent place aux risques spéculatifs et créances pourries, aidés par le choix de l’endettement des ménages par certains pays européens (Royaume-uni, Irlande, Espagne). La crise actuelle ne pouvait en rien éviter l’Europe.

 L’avènement de la monnaie unique

Entre 1985 et 1995, le marché commun a été fortement déstabilisé par une série d’attaques sur les monnaies européennes. L’idée d’une monnaie unique ressort et servira de base aux négociations du Traité de Maastricht. Le choix fut motivé par la volonté de concurrence avec le dollar : les capitaux allaient pouvoir être placés en monnaie européenne et pour des raisons commerciales, avec une monnaie unique sur un marché, la concurrence allait être encouragée par la comparaison des prix. Pour rentrer dans le club privilégié Euro, l’Etat membre doit respecter 5 critères de convergence exclusivement économiques, qu’on appelle le Pacte de Stabilité. La mise en place de l’Euro s’est calquée sur le Deutschmark avec une banque centrale indépendante, qui ne peut être contrôlée politiquement. La Banque Centrale Européenne fixe entre autres les taux d’intérêt, qu’elle souhaite les plus hauts possibles, refuse la hausse des salaires, pour lutter contre sa bête noire l’inflation.

Quand les gouvernements ne peuvent opérer aucune manoeuvre budgétaire, ne peuvent rien décider, ni rien contrôler, que leurs politiques budgétaires sont bridées, puisqu’ils ne peuvent jouer de leur déficit public, ils ne peuvent en rien protéger leur économie réelle lorsque des bulles spéculatives entraînent la chute. La banque centrale européenne est si indépendante, qu’à son bon vouloir, elle refuse d’assouplir ses règles (baisse des taux d’intérêt) pour aider les Etats, mais aujourd’hui en pleine crise, elle n’hésite pas à sortir ses liquidités pour aider les économies gravement atteintes (Hongrie). Un nombre invraisemblable de créances pourries, celles qui jamais ne pourront être remboursées, arrivant de tous les marchés financiers et surtout du marché étatsunien, s’échangent avec des créances saines entre les banques européennes. Les Etats européens sont dans l’incapacité de contrôler, de par le statut indépendant de la BCE ; pire encore, les Banques n’ont aucune condition ni aucun compte à rendre aux Etats sur l’argent donné pour les sauver. Les Etats membres ne sont en aucun cas à plaindre, ce sont eux qui ont décidé, signé, voté, entériné le pacte de stabilité qu’ils doivent respecter et l’indépendance de la BCE !

La Crise : la gestion en panique

Le plan européen gigantesque de 2000 milliards d’Euros sauve d’une catastrophe mais n’envisage pas de reprise économique. Un communiqué d’Attac France, dernièrement, citait les dires du président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker : “lancer un plan de relance à échelle européenne nous conduirait très automatiquement dans certains pays à prendre congé par rapport aux règles saines du Pacte de Stabilité”. Le concept est là, les Etats donnent de l’argent pour sauver les banques, et ne demandent rien en contrepartie à respecter par les banques. Pour reprendre les termes de Dominique Plihon, président du Conseil scientifique d’ATTAC France, ”…c’est pourtant l’occasion pour les gouvernements de dicter leurs conditions en imposant de nouvelles règles aux banques : fin des opérations spéculatives, arrêt de la titrisation, priorité au financement des projets conformes aux priorités sociales et écologiques ; (…) l’absence de conditionnalité fait que les plans de sauvetage annoncés correspondent en fait à une privatisation des fonds publics, plutôt qu’à des nationalisations. Les gouvernements viennent au secours des banquiers (…) qui n’hésiteront pas à reprendre leurs opérations spéculatives et anti-sociales à la première occasion. Si l’on veut que cette finance prédatrice et spéculative cesse, nous devons exiger la conditionnalité des aides publiques aux banquiers.”

Le modèle de croissance dans les pays à dogme néo-libéral se base sur l’exploitation des uns par les autres et sur l’endettement, qui seul reste pour augmenter la demande et relancer l’économie. Il est urgent de renforcer les règles et les contrôles applicables à l’ensemble des banques et des acteurs financiers, privés et publics. La politique menée par l’Union Européenne a donné la priorité absolue à la libéralisation des systèmes financiers. Un renversement radical de cette politiqu est indispensable, en tout premier lieu l’indépendance de la BCE doit être rompue, parce qu’elle s’oppose à la hausse des salaires dans sa lutte insatiable contre l’inflation, alors que jamais elle ne s’est imposée contre les comportements spéculatifs, causes des bulles financières.

Posons-nous la question : quelle société voulons-nous ?

Les plans de relance annoncés dans les pays d’Europe, séparément ! se posent sur deux conditions ; s’éloigner temporairement du pacte de stabilité, et relancer la croissance par l’automobile. Finalement, la coopération européenne ne marche pas, l’heure est à la perte de confiance. D’autre part, la reprise par l’industrie automobile et la relance de travaux routiers et autoroutiers, si on était en 1960, auraient été des idées réalistes. En 2009, l’ère du pétrole s’essouffle, la crise écologique, après 50 années de surconsommation, est omniprésente. Les fortes variations climatiques présentes et attendues partout sur la planète, les pollutions de tous genre mettant en péril la santé de tous, ne pourront pas être endiguées. Les gouvernements européens, par leurs décisions sur les plans économiques, sociaux et écologiques, ont fait le choix “on ne change rien, on continue”. Les mouvements européens de résistance doivent unir leurs forces pour mobiliser, rompre et agir, plus que jamais.