06-09 juillet, Koulikoro (Mali) : 7ème Forum des Peuples, par Jérôme Ollier (été 2008) Extrait de la Lettre d’Attac 45 n°47 (oct/nov 2008)
par Jérôme Ollier
Comité pour l’Annulation de la Dette du tiers-Monde
Le Forum des Peuples, contre pouvoir africain au G8
Situé à une soixantaine de kilomètres de Bamako, au bord du fleuve Niger, c’est dans l’institut de promotion du développement rural de Katibougou que se tient le 7ème forum des peuples. Ecole agricole construite par des architectes russes dans les années 60, durant la présidence de Modibo Keita |1|, cette école instruisait à l’époque quelque 8000 étudiants, il n’en reste guère plus que 400 aujourd’hui. Organisé par la CAD Mali |2|, se réunit tous les ans au même moment que le G8 pour dénoncer les politiques meurtrières des 8 "puissants". L’événement voit la participation de représentants de mouvements sociaux et d’ONG de toutes les régions du Mali mais aussi des délégations de plusieurs pays d’Afrique. Environ 600 personnes décortiquent et critiquent la mondialisation néolibérale durant les 4 jours où se succèdent assemblées et ateliers.
C’est d’ailleurs avec une intervention musclée que s’est ouvert le forum. (...) Privatisée en 2005, Huicoma était une entreprise de production d’huile à partir de graine de coton. Dans les six mois qui ont suivi sa privatisation, 700 des 1000 employés qui y travaillaient ont été renvoyés. Aujourd’hui en arrêt de production, l’usine a ses portes fermées à deux pas du forum, les travailleurs licenciés ont accueilli les participants derrière une banderole : "ATT, Groupe Tomota, Nos vies valent plus que vos profits". Il faut dire que les privatisations ont été bon train ces dernières années au Mali, un des exemples les plus frappants étant celui de la régie des chemins de fer malien. Estimée à quelque 105 milliards de Francs CFA, elle a été cédée à un groupe franco-canadien pour 7 milliards. Ces privatisations ont été exigées |4| par les institutions financières internationales, celles-là même qui prônent cyniquement la "bonne gouvernance".
Les participants du forum ne s’y trompent pas d’ailleurs, le constat est sans appel... Dettes, Banque mondiale, FMI, privatisations, cherté de la vie, APE, tout est rejeté en bloc et avec force. La plupart des discussions ont lieu sur les formes de résistance à ces politiques, certains jouant la carte des interpellations des gouvernements par les "organisations de la société civile", d’autres appelant à la révolution. La souveraineté alimentaire, thème qui prend une place importante en ces temps de crise alimentaire, cristallise bien les divergences sous-jacentes. En effet, le gouvernement pour faire face à la crise vient de lancer "l’initiative riz", censée développer les cultures de riz dans le pays. Certaines organisations (qui ont participé à l’élaboration des plans agricoles) la soutiennent, tandis que d’autres clament qu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’une diversion du gouvernement pour tenter de faire passer l’imminente privatisation de la CMDT |5|.
Bien que fort orienté sur le Mali, le forum a également une dimension internationale, grâce au rejet total du G8 et aux intervenants étrangers d’abord, mais aussi par le biais de sujets régionaux. Ainsi les gouvernements du nord ont été dénoncés à plusieurs reprises pour leur ingérence dans les affaires du Zimbabwe. En effet, Mugabé est soutenu de manière quasi-unanime par les participants du forum.
Malgré quelques soucis inhérents à ce genre de sommet, les conclusions du forum doivent se révéler fructueuses et porteuses de mobilisations. Les luttes africaines sont d’une manière ou d’une autre amenées à grandir lorsque l’on voit que le transfert net sur la dette des pays d’Afrique subsaharienne a été de 15 milliards de dollars entre 2000 et 2006 |6|. Une grande part des richesses créées par les pays du Sud est donc transférée vers les coffres de leurs riches créanciers du Nord. Pourtant l’Afrique suffoque toujours sous une dette extérieure publique de 115 milliards de dollars |7|, et la "cherté de la vie" déclenche de vives réactions. Le G8 et leurs amis capitalistes sont encore maîtres des règles du jeux, mais ici, au Mali, la publicité de la banque belge KBC invitant à spéculer sur la hausse des prix des produits alimentaires indigne et la révolte gronde à juste titre.
notes :
|1| Président du Mali de 1960 à 1968, il a mené des politiques de type socialiste, il fut renversé par un coup d’état militaire, le 19 novembre 1968
|2| Membre du réseau CADTM international
|3| Acronyme du président malien actuel : Amadou Toumani Touré
|4| Dans le cadre de politique de lutte contre la pauvreté
|5| Compagnie malienne de développement du textile, historiquement associée à la production de coton au Mali
|6| Source : Banque mondiale, Global Development Finance 2007 (GDF 2007)
|7| Dette publique (ou garanties par le secteur publique) de l’Afrique Sub-Saharienne en 2006, source : GDF 2007